L'histoire de la Musique du Monde

L'histoire de la Musique du Monde

Le Moyen-Orient, l’Asie, les continents africains et sud-américains ont tous connu à peu près la même trajectoire depuis que l’on enregistre de la musique sur 33 T. Chaque pays, chaque région a depuis toujours développé une musique traditionnelle liée aux rituels religieux, aux cérémonies ou au travail des populations. Depuis les débuts du XXème siècle les ethnomusicologues ont découvert une multitude de musiques insoupçonnées de l’Occident pendant très longtemps qui s’appuient pour la plupart sur des instruments qui vont de la basique flûte en bambou à des objets de facture parfois très élaborée. Du didjeridoo des aborigènes australiens à la vielle à roue des campagnes françaises, de la kora africaine, en passant par la derbouka et le nay du Moyen Orient, la flûte de pan ou le cajon en Amérique du Sud, le steel drums des Antilles, les gong asiatiques, le koto japonais etc. le monde recèle d’une foule d’instruments dont la pratique se transmet bien souvent de père en fils ou de maître à élève depuis des générations.

Le boum de l’industrie du disque avec le 33 T dans les années 50 s’est vite traduit en Occident par une demande de nouveaux sons en plus du jazz, de la musique classique et du rock dont les jeunes ont vite fait le succès. Ainsi est née l’exotica, genre qui, s’appuyant souvent sur des formations se rapprochant du jazz, a popularisé des sons « exotiques » pour l’époque : la bossa nova brésilienne, les différents sons des Caraïbes (cha cha cha, mambo), la musique des danses du ventre en provenance du Moyen-Orient, les musiques polynésiennes etc.

Si le genre a eu un succès incroyable à l’époque avec des artistes comme Les Baxter, Arthur Lyman ou Martin Denny, il est passé pour le top du kitsch pendant longtemps avant d’être redécouvert par quelques oreilles curieuses dans les années 90/00.

Si l’exotica n’est pas à classer dans les « musiques du monde », il n’en reste pas moins qu’elle a joué un rôle considérable dans la découverte de musiques en provenance de toute la planète pour une majorité d’occidentaux.

Le développement du tourisme mondial dans les années 1960 grâce aux progrès de l‘aviation civile a également contribué à une diffusion plus large des musiques. Les musiques dites « du monde » sont plus facilement parvenues en Occident car les touristes rentraient souvent de vacances avec quelques vinyles sous le bras, ramenant un peu de folklore local à partager avec leurs amis. Ainsi l’Europe et l’Amérique du Nord ont commencé à apprécier des musiques pourtant loin de leurs standards.

Mais il ne faudrait pas oublier non plus le rôle des maisons de disques qui ont flairé le filon et ont très tôt signé des artistes qui deviendront des stars planétaires et feront souvent office d’ambassadeurs pour leur pays. On pense ici par exemple à Miriam Makeba pour l’Afrique du Sud ou Harry Belafonte, qui, s’il est né à Harlem, a été catalogué comme LE crooner caribéen par excellence.

Selon le système des vases communicants, la musique occidentale est arrivée à la même époque dans le reste du monde et nombre d’artistes s’en sont inspirés. Jimi Hendrix, les Beatles, Pink Floyd et les Rolling Stones ont tous fait des émules de par le monde.

De la Zambie (avec le courant Zamrock documenté par le label Now-Again) à Istanbul (avec la vague Anatolian rock dont les stars sont Cem Karaca, Baris Manco, Erkin Koray, les Mogollar ou Derdiyoklar Ikilisi), jusqu’au Brésil (le courant Tropicaliste avec Gil Gilberto, Os Mutantes, Gal Costa, Caetano Veloso, Tom Zé) ou en Asie du sud-est avec notamment une scène rock garage / psychédélique qui s’est développée au Vietnam et en Thaïlande.

Si le rock et ses dérivés, qui, rappelons-le, étaient en train d’exploser partout dans le monde dans les 60’s, ont eu une influence considérable, le jazz a aussi joué un rôle prépondérant dans nombre de pays.

Ainsi nous avons vu une scène jazz très influencée par John Coltrane naître en Afrique du Sud par exemple. On pourrait citer Hugh Masekela, le plus connu d’entre eux mais c’est l’arbre qui cache la forêt : Dollar Brand aka Abdullah Ibrahim, Sathima Bea Benjamin, Dudu Pukwana, Louis Moholo, Johnny Diany ou le Mankunku Quartet dont l’album Yakhal' inkomo est bien souvent considéré comme le A love supreme sud africain...

 

 

A l’heure de la revendication des droits civiques, un autre personnage a eu une grosse influence, notamment en Afrique : James Brown. Le premier nom qui vient à l’esprit est bien sûr Fela Kuti qui a développé une musique s’appuyant sur le groove du funk, la transe rituelle africaine, avec une bonne dose de cuivres jazzy et des paroles très engagées.

 

Mais l’Afrique, de l’ouest notamment, a vu naître à cette époque des myriades d’artistes se basant sur le funk US pour s’exprimer : Peter King, Manu Dibango, Orlando Julius, Ebo Taylor etc. Si Fela a eu une carrière internationale, une immense majorité de ces formations sont restées très confidentielles, jouant dans leur ville ou leur pays quelques années ou même quelques mois parfois, avant de péricliter.

Nous parlions plus haut des Beatles et il est notable qu’ils ont eu une énorme influence sur la (re)découverte d’un pays et de ses musiques : l’Inde. A la toute fin des années 60, les quatre garçons dans le vent partent dans un ashram découvrant la méditation puis la musique indienne. Ils reviendront avec des sitars dans leurs valises, parfaitement raccords avec l’esprit hippie de l’époque, et feront découvrir à une jeunesse peace & love ses sonorités envoûtantes.

Les années 80 seront les « vraies » années de la world music. De plus en plus d’artistes africains, asiatiques ou sud-américains, s’expatrient en Europe ou aux Etats-Unis pour se faire signer et profiter, à la fois de studios très professionnels et de connexions musicales. Un précurseur du genre a été l’ex-Genesis Peter Gabriel, qui avec son label Real World, a mis en lumière le chant du pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan, le congolais Tabuley Rochereau ou l’ougandais Geoffrey Oryema pour ne citer que quelques noms.

Un autre label aura un beau rôle de passeur de sons et il est français : Celluloid. En plus de produire des artistes new wave, ils ont également sorti des disques de Kassav, Touré Kunda, Osibisa, Max Roméo, Eroll Dunkley, Salif Keita, Juluka ou Ray Lema, s’appuyant largement sur la diaspora africaine de Paris.

Cette décennie va également marquer les musiques du monde avec le développement des instruments électroniques, synthétiseurs et autres boîtes à rythmes, exactement de la même manière que la pop music occidentale.

Que ce soit les producteurs de Bollywood, ou les sud-africains avec le kwaito, divers styles musicaux d’Afrique noire, beaucoup de musiciens adoptent ces nouveaux instruments qui offrent des possibilités inimaginables jusqu’à présent. Le seul endroit où cela sera moins visible est le Brésil : en effet, une loi votée sous la pression du lobby des orchestres interdisait d’importer des synthétiseurs dans le pays pendant longtemps pour ne pas faire de concurrence déloyale aux orchestres !

Un pays a pu « bénéficier » de claviers électroniques bien avant beaucoup d’autres, c’est le Cap Vert ! Cette petite île pauvre perdue au large du Sénégal, au milieu de l’Océan Atlantique, a vu s’échouer sur ses côtes la cargaison d’un navire chargé de divers claviers Korg, Moog ou Rhodes à la fin des années 60. La population ne s’est bien sûr pas faite priée et a vite récupéré ces instruments pour les intégrer à leur propre musique. Cette belle histoire est parfaitement documentée dans la compilation Space echo du label allemand Analog Africa, qui est devenu est quelques années une véritable référence en matière de réédition de musiques africaines.

A l’image d’Analog Africa, un grand nombre de labels se sont donnés pour mission d’aller rechercher et de rééditer de vieux vinyles obscurs aux quatre coins de la planète. Que ce soit du rock psyché turc, de la bossa, de l’afrobeat, du garage thaï, du blues touareg, de la cumbia, du funk du Maghreb, du disco libanais, il est intéressant de noter que ce sont les passionnés de vinyles qui par leur travail de fouille contribuent à faire redécouvrir au plus grand nombre des musiques restées jusque-là assez confidentielles. On pense au jazz antillais remis en lumière par Digger Digest, l’afrobeat par les anglais de Strut ou Soundway, les trésors oubliés du Brésil avec Mr Bongo, Sublime Frequencies pour une bonne partie de l’Asie etc.

Bibliographie :

  • Coline Houssais « Musiques du monde arabe » (Le Mot et le Reste)
  • Camille Martel & Jordan Saisset « Musiques occitanes » (Le Mot et le Reste)
  • Florent Mazzoleni « Africa 100 » (Le Mot et le Reste)
  • Erwann Paccaud « Easy listening » (Le Mot et le Reste)
  • David Rassent « Musiques populaires brésiliennes » (Le Mot et le Reste)
  • Emmanuel Négrier « Les musiques du monde et leur public » (Le Mot et le Reste)